Le black-out iranien : comment et pourquoi ?

Le 15 novembre 2019, le gouvernement de la République Islamique d’Iran a limité ses subventions sur l’essence entraînant une hausse de 50% du prix de l’essence. Cette hausse vertigineuse a engendré des grandes manifestations à Téhéran (principalement) violemment réprimées par les autorités iraniennes. Quelques vidéos ont été publiées sur les réseaux sociaux vendredi 15 novembre pour dénoncer la violence de la répression et quelques heures plus tard, le gouvernement iranien est parvenu à couper les connexions Internet dans le pays.

Ce black-out au sein de la République Islamique d’Iran a entraîné une absence d’informations vers l’extérieur (renseignements sur l’ampleur des manifestations et de la répression) mais également à l’intérieur du pays : les Iraniens étaient empêchés de communiquer sur les réseaux sociaux et les logiciels de messageries instantanées comme Whatsapp.

L’historique des manifestations iraniennes récentes

  • 2009 : les manifestants soutenant le candidat de l’opposition au cours des élections présidentielles (Le Mouvement Vert)
  • 2017 : les manifestations contre la hausse des prix et le coût de la vie

Ces importantes manifestations populaires ont été organisées grâce aux réseaux sociaux et aujourd’hui, elles apparaissent comme l’élément déclencheur de l’action rapide et violente du gouvernement iranien. En effet, les manifestations rebaptisées Le Mouvement Vert ont démontré l’importance des réseaux sociaux dans l’organisation des manifestations. À ce moment-là, les autorités iraniennes ont cherché un système pour contrôler l’accès à Internet et par conséquent, la liberté des Iraniens. La coupure nationale apparaît comme une véritable préparation engagée depuis plusieurs années.

Le gouvernement iranien a créé un réseau Internet indépendant du réseau mondial et centralisé sous le contrôle des autorités. Il a fallu seulement 24 heures pour bloquer le trafic et limiter le niveau des connexions Internet vers l’étranger.

censure Internet outil diplomatiqueAu cours de la semaine de manifestations, certains Iraniens sont parvenus à se connecter à des serveurs étrangers pour contourner la censure mais l’accès aux serveurs internationaux est compliqué et risqué. Ces connexions clandestines permettaient aux Iraniens de communiquer avec l’étranger pour expliquer et/ou illustrer l’ampleur de la répression extrêmement violente des manifestations à Téhéran.

Le Haut-Commissaire de l’Organisation des Nations Unies a exprimé son inquiétude le mardi 19 novembre concernant la violence inouïe de la répression des manifestations avec un usage abusif des gaz lacrymogènes, le lynchage des manifestants, des tirs à balles réelles, des snipers, etc. Néanmoins, le reste du monde recevait peu d’informations venues de l’intérieur hormis les déclarations officielles du gouvernement, des informations indépendantes et quelques images et/ou vidéos confuses des violences.

Déclaration officielle de l’État iranien ce mardi 19 novembre

La République Islamique d’Iran a annoncé un éventuel rétablissement des connexions après s’être assurée qu’elles ne soient pas utilisées à “mauvais escient” par les manifestants.

Les autorités iraniennes ont rétabli les connexions Internet le 23 novembre, une semaine après sa coupure totale. Ce rétablissement a permis au monde entier et aux Iraniens de découvrir l’ampleur des manifestations et de la répression. Certains Iraniens profitent du rétablissement pour publier et envoyer des images enregistrées lors des manifestations pour “dévoiler” la vérité concernant la semaine de black-out.

Les autorités iraniennes utilisent le rétablissement des connexions pour partager les images des dégâts causés par les manifestations et inviter les partisans du régime à dénoncer « le saccage des biens publics et privés » par « l’ingérence de l’étranger » et les opposants au régime.

Aujourd’hui, après la censure, la République Islamique d’Iran utilise la propagande pour justifier ses actions grâce aux connexions Internet coupées quelques jours auparavant.

Le contrôle des connexions Internet : une nouvelle arme politique

Ce black-out des connexions au sein de la République Islamique d’Iran interroge nécessairement sur le droit à la liberté d’expression et l’accès aux informations garantis par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Malheureusement, la République Islamique d’Iran n’est pas l’unique pays qui contrôle ses connexions vers l’extérieur et surveille les accès Internet des habitants.

La République Populaire de Chine possède un système extrêmement étendu et avancé pour surveiller et contrôler l’accès à Internet et les informations disponibles à la population chinoise. L’organisation américaine Freedom House a publié un rapport concernant la liberté sur Internet dans 65 pays et pour la quatrième année consécutive, la Chine confirme son statut de “plus grand abus de la liberté d’Internet dans le monde”.

En effet, la République Populaire de Chine a instauré plusieurs lois et réglementations pour limiter l’accès aux informations extérieures avec la censure d’une multitude de “mots-clefs” problématiques pour les autorités chinoises. Ces réglementations ont été mises en place grâce aux fournisseurs d’accès à Internet, aux entreprises et aux organisations contrôlés par les gouvernements provinciaux, soumis aux-mêmes aux décisions du Parti Communiste.

Certains utilisateurs chinois essaient de contourner la censure grâce aux serveurs hongkongais qui possèdent une législation différente.

À quelques kilomètres du territoire chinois, le gouvernement russe a adopté le Sovereign Internet Bill le 1er novembre pour créer un Internet “souverain” au sein du territoire. La Fédération de Russie souhaite mettre en place un système de “verrouillage” (comme la Chine et l’Iran) permettant une coupure rapide et totale des connexions Internet dans les cas d’extrême urgence. Néanmoins, les “cas d’urgence” seront arbitrairement décidés par le gouvernement russe lui-même, amplifiant la crainte des russes d’une utilisation abusive du système de verrouillage.propagande désinformation

La Fédération de Russie se concentre sur la création d’un Internet national (comme la République Islamique d’Iran) pour assurer les connexions Internet en cas d’une impossibilité de se connecter aux serveurs internationaux et protéger le gouvernement et les habitants des éventuelles cyber-attaques venues de l’étranger. Néanmoins, l’Internet national permet également de maîtriser l’acheminement des données et des informations pour prolonger la censure au sein du pays.

Aujourd’hui, la République Populaire Démocratique de Corée (au nord) est un véritable exemple de l’utilisation abusive de la censure, de l’oppression des peuples et le contrôle exclusif de l’information. Les Nord-Coréens ne possèdent aucun accès aux services d’Internet et/ou aux télécommunications internationales pour supprimer tous les contacts avec l’extérieur. La surveillance abusive et l’intimidation est très répandue pour limiter les tentatives de communications avec l’étranger : les lourdes sanctions auxquelles ils s’exposent empêchent les Nord-Coréens d’enfreindre les lois restrictives du pays.

Aujourd’hui, dans les pays où la liberté sur Internet est plus élevée, certains gouvernements utilisent la propagande et la désinformation pour influencer des scrutins politiques ou rallier des partisans à leurs causes lors d’évènements importants.

La désinformation : la nouvelle arme numérique ?

Internet est devenu l’instrument des élus aux ambitions autoritaires et des partisans peu scrupuleux qui exploitent les médias sociaux comme des instruments de distorsion politique et de contrôle de la société. Aujourd’hui, les États répressifs ne sont pas les seuls à exploiter les avantages et les failles des médias sociaux : les États “démocratiques” utilisent également ces médias (dont Internet) pour exécuter leur tactique d’autoritarisme numérique.

L’organisation américaine Freedom House a publié un rapport alarmiste concernant la liberté sur Internet : 65 pays ont été évalués et 33 pays connaissent une baisse globale de la liberté sur Internet depuis 2018. La censure n’est pas l’unique paramètre qui amène la chute de la note donnée par Freedom House : la propagande, la désinformation et la violation de la vie privée numérique participent également à la baisse de la liberté sur Internet.

Les États-Unis, même s’ils conservent une bonne note, multiplient les actions qui s’opposent à la liberté sur Internet :

  • Élargissement de la surveillance du public en évitant les mécanismes de surveillance, de transparence et de responsabilisation susceptibles de restreindre leurs actions
  • Surveillance des réseaux sociaux
  • Fouilles sans mandat dans les appareils électroniques des voyageurs afin de recueillir des informations sur des activités protégées par la Constitution
  • Désinformation lors d’événements politiques majeurs
  • Circulation d’informations fausses et/ou déformées pour enrayer le processus démocratique et attiser les divisions dans la société américaine

Internet est une réelle arme diplomatique, sociale et commerciale pour les dirigeants et les autorités influentes mais aujourd’hui, quel est le moyen le plus efficace pour contrôler l’information : la désinformation ou la censure ?

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