Quel bilan tirer de l’E3 2019 ?

L’Electronic Entertainment Exposition 2019 s’est achevée le 14 juin dernier à Los Angeles, où elle se tient tous les ans. Elle a notamment dévoilé de nouveaux jeux, mais a été loin d’en rester là. L’E3 2019 a en effet été marquée par la présence de nouveaux acteurs du jeu vidéo, comme Google et Netflix. Elle a aussi été une édition de transition avant l’arrivée de la next gen, la nouvelle génération de consoles.

A présent, l’E3 est donc à l’heure du bilan. Incontestablement, elle laissera des souvenirs : la présence de Keanu Reeves est déjà culte, et Nintendo peut se ravir d’avoir quelque peu redoré le blason d’une édition qui manquait cruellement de piment. Il faut dire que parmi les 352 jeux évoqués cette semaine, peu pouvaient vraiment revendiquer le statut de nouveauté.

Cyberpunk 2077
© CD Projekt Red

Certains avaient déjà été annoncés plus tôt : ni Cyberpunk 2077 ni le nouveau volet de Pokémon n’étaient dévoilés pour la première fois. Si le prochain jeu Star Wars d’Electronic Arts a montré son gameplay, il était lui aussi attendu depuis longtemps. Et c’est sans parler des fuites qui avaient précédé l’E3, des nombreux remakes et portages, ou des jeux qui n’ont été mentionnés que parce qu’ils vont rejoindre le catalogue d’un pass quelconque.

Edition de transition, donc. C’est tout simple : Sony a d’ores et déjà annoncé l’arrivée de la PlayStation 5 tandis que Microsoft a profité de l’E3 pour revenir sur le Project Scarlett, sa prochaine Xbox. Déjà tournées vers l’avenir, les firmes du jeu vidéo ont donc en tête leur prochain Eldorado.

En 2019, les nouvelles tendances du jeu vidéo se sont clairement définies. Elles sont au cloud gaming et au streaming, au jeu dématérialisé. Elles sont à la puissance, aux temps de chargements réduits, voire inexistants. Microsoft promet ainsi de mettre un terme à ces fameuses scènes d’ascenseur qui cachaient un chargement de la séquence suivante. Et notre transition, elle est là.

Million dollar baby : l’industrie du jeu vidéo produit à foison

Pourtant, le jeu vidéo actuel se porte bien – très bien, même. En France, il a battu son record historique l’année dernière, avec + 43% de jeux vidéo conçus par rapport à 2017. 1200 titres ont ainsi été produits en 2018, contre 830 en 2017. Une tendance qui se confirme à l’international : les bilans financiers des grandes firmes étaient tous positifs cette année. Chez Nintendo, Microsoft et Sony, les trois géants du jeu vidéo, les bénéfices ont été de mise.

Aujourd’hui, le jeu vidéo peut aussi se vanter d’être de moins en moins considéré comme une sous-culture. Depuis 2006, il est même reconnu comme le dixième art par le ministère de la culture française. En somme, le jeu vidéo s’est vraiment fait sa place au sein des industries numériques, mais aussi culturelles. Il n’a plus à rougir à côté du cinéma, de la télévision ou de la littérature.

Un exemple ? Le bien culturel le plus vendu en France en 2014, 2015 et 2016 n’a pas été le dernier Guillaume Musso, mais le dernier… Fifa. Chaque année, l’industrie du jeu vidéo brasse des milliards – et toujours un peu plus que l’année précédente. Rien qu’en France, c’est un marché qui valait 4,9 milliards d’euros en 2018. Mais le succès de cette industrie implique la fabrication des milliards de consoles, cartouches et disques qui sont vendus chaque année.

Production industrie jeu vidéo

Le revers de la disquette : la pollution de l’industrie du jeu vidéo

Or la pollution technologique est une réalité. L’ordinateur sur lequel vous envisagez de jouer à Cyberpunk 2077 en avril prochain se fabrique à grands renforts de combustibles fossiles (240 kg), de produits chimiques (22 kg) et d’eau (1,5 tonne). Et c’est sans même parler des terres rares, ces métaux utilisés pour fabriquer nos bécanes numériques : puces, écrans, etc.

Le saviez-vous ?

Les terres rares désignent 17 métaux différents comme le scandium ou l’yttrium, essentiellement présents en Chine. Leur exploitation est notamment très radioactive : les villages proches de la mine de Baotou (Mongolie) sont plus radioactifs que Tchernobyl !

Le numérique pollue en fait à chaque étape de la chaîne, depuis la fabrication du disque jusqu’à la production de son lecteur, en passant par celle de l’écran, de la manette, des piles. En effet, cette industrie utilise massivement le gaz naturel dans ses processus de production, rejetant dans l’environnement de grandes quantités de CO2. Si le gaz naturel est le combustible fossile le plus propre disponible aujourd’hui, il n’en reste pas moins polluant (ainsi, en plus de choisir un fournisseur de gaz peu cher, faites attention à bien regarder son empreinte environnementale).

Et après, il faut prendre en compte son utilisation : un téléviseur émet plus de 54 kg de CO2 au cours de son cycle de vie. Un ordinateur portable, plus de 43 kg. Et votre console de jeux, environ 21 kg.

Outre un bilan carbone qui fait la grimace, le jeu vidéo peut aussi revendiquer une consommation d’électricité supérieure à n’importe quelle autre industrie culturelle. Une étude menée en 2015 par Evan Mills, du Laboratoire National Lawrence Berkeley, s’est ainsi penchée sur la consommation électrique des PC gaming à l’échelle mondiale. Le verdict ? 75 milliards de kilowatts-heures chaque année.

C’est l’équivalent de la production de 25 centrales électriques, ou 10 réacteurs nucléaires – et c’est sans même compter les PlayStation, Xbox et autres consoles. Rien qu’aux Etats-Unis, la consommation des systèmes de jeux, consoles et PC, représente 6 milliards de dollars par an. En fait, c’est même l’un des plus gros postes de consommation dans votre foyer.

Il faut dire qu’un seul PC gaming consomme environ 1400 kWh d’électricité par an, six fois plus qu’un ordinateur standard et dix fois plus qu’une console de jeux. En termes de coût carbone, l’industrie du jeu vidéo américaine représente 12 millions de tonnes de CO2 par an, l’équivalent de 2,3 millions de voitures. Imaginez cela à l’échelle mondiale !

D’autant que cette pollution ne va pas en diminuant. Publié il y a près de cinq ans, ce rapport estimait que la demande d’électricité du jeu vidéo en Californie augmenterait de 114% d’ici à 2020. Evan Mills tirait donc le signal d’alarme et invitait à faire des ajustements rapides. Mais aujourd’hui, à un an du seuil qu’il a fixé en 2015, où en est le jeu vidéo ?

Infographie pollution jeu vidéo

Store Wars : les sirènes du jeu vidéo dématérialisé

La next gen du jeu vidéo qui s’annonçait à l’E3 cette année n’est pas seulement du hardware. Elle ne se limite pas à la prochaine Xbox et à la PS5, qu’on espère sous le sapin à Noël 2020. Elle s’appuie sur une tendance qui n’est pas seulement celle de la performance pure et dure, mais celle du dématérialisé.

Le monde du jeu vidéo est en train de changer. Pour les grandes firmes, l’avenir de l’industrie passera par un jeu vidéo qui fait ses adieux au support physique. Le futur du gaming passe par le streaming, le cloud gaming, et les abonnements en ligne.

Le jeu vidéo dématérialisé n’en est pas vraiment à ses débuts : sur PC, la plateforme Steam règne en maître sur la distribution des jeux en ligne depuis plus de quinze ans. Les connaisseurs du jeu sur PC sont des habitués. Le principe est le même que pour une boutique électronique : au lieu d’acheter ses jeux dans leur boîtier, on les acquiert en dématérialisé.

D’après l’Entertainment Retailers Association (ERA) britannique, 80% des jeux vidéo vendus au Royaume-Uni sont dématérialisés.

Depuis, Steam a fait des émules. Cette année, l’industrie du jeu dématérialisé a été secouée par l’arrivée de l’Epic Games Store, une plateforme similaire reversant une part des ventes bien plus importante aux développeurs des jeux : 88% contre les 70% de Steam. L’Epic Games Stores a ainsi attiré dans ses filets quelques grands titres de l’année, depuis Metro Exodus jusqu’à Borderlands 3, en passant par The Division 2.

Manettes console jeu vidéo

Mais le virus du dématérialisé a aussi touché les consoles et la contagion n’est pas prête de s’arrêter. D’abord, Sony comme Microsoft possèdent leur propre game pass, un abonnement pour acheter des jeux sur la boutique en ligne de sa console. Mais lorsque les rumeurs sur la Xbox Scarlett ont commencé à se préciser, elles évoquaient aussi une console désormais sans lecteur de disque. Si cela a finalement été contredit lors de l’E3, il n’en reste pas moins qu’il est devenu possible d’imaginer une console de jeux… sans jeux.

Côté PS5, un lecteur de disque physique a également été confirmé. Mais parallèlement, l’accélération du dématérialisé n’en demeure pas moins une réalité. Les services de cloud gaming et de streaming se multiplient : c’est le projet xCloud et le Console Streaming de Microsoft, le service Stadia de Google, le UPlay+ d’Ubisoft.

Désormais, la guerre des consoles se livre donc sur les plateformes. Avec Stadia, régulièrement considéré comme le Netflix du jeu vidéo, les joueurs n’auront même plus besoin d’une console. Et alors qu’on estime que le marché du cloud gaming atteindra les 2,5 milliards de dollars d’ici à 2023, c’est clairement une nouvelle ère du jeu vidéo qui s’ouvre dans nos salons.

Le dématérialisé, un coup de pouce pour la planète ?

Alors, hardware ou dématérialisé, quel impact sur l’environnement ? D’un côté, plus besoin de produire des disques et les boîtiers en plastique qui vont avec, voire les machines pour les faire tourner. De l’autre, il faut bien faire fonctionner les plateformes et services de streaming et de cloud. Cela passe par des data centers et des serveurs surpuissants… et particulièrement énergivores.

La révolution du dématérialisé pourrait ainsi doubler la consommation électrique des joueurs, d’après une étude de la California Energy Commission. En outre, le téléchargement d’un jeu produit plus de CO2 que la fabrication de sa copie physique. Quant aux futures consoles de Sony et Microsoft, elles promettent une puissance supérieure qui ne sera pas non plus sans conséquence sur notre consommation quotidienne.

Consommation PC gamingLe dématérialisé n’est donc pas une si bonne nouvelle pour la planète. Mais le jeu vidéo n’est pas tout à fait inconscient de ces enjeux écologiques, bien au contraire. Côté contenu, les mondes post-apocalyptiques de MetroThe Division ou encore The Last of Us sont à la mode. Il faut dire qu’ils trouvent un écho de plus en plus grand dans nos craintes contemporaines et notre quotidien.

Les jeux vidéo n’hésitent plus à aborder la cause environnementale de manière directe, principalement du côté des jeux indépendants. Ori and the blind forest, sorti en 2015 et dont la suite a été dévoilée à l’E3 2019, suit la quête d’Ori pour restaurer la forêt et ses esprits. Eco, sorti en 2018 et développé grâce à Kickstarter, se veut lui purement écologique et est une vraie prise de conscience environnementale pour son joueur.

Mais le rapport de l’industrie à la nature et au climat reste ambivalent. Greenpeace a d’ailleurs classé ici les firmes vidéoludiques parmi les pires industries électroniques. Nintendo arrivait même bon dernier de son classement des plus gros pollueurs en 2010. Toutefois, il y a du progrès.

Ainsi, pour réduire son empreinte carbone, Microsoft a tout récemment augmenté sa redevance carbone interne. La firme s’est aussi associée à Vattenfall, le fournisseur d’énergie suédois, pour s’orienter vers des data centers alimenté en énergie renouvelable. Google, à l’origine de Stadia, est le premier acquéreur d’énergie renouvelable aux Etats-Unis. Autant d’initiatives qui pèseront lourd si le jeu vidéo veut avoir un futur.

Sources :

  • https://www.cnet.com/news/microsoft-accelerates-goals-for-reducing-carbon-footprint/
  • https://www.clubic.com/mag/jeux-video/actualite-860250-cloud-gaming-doubler-consommation-electrique-joueur.html
  • https://www.digitaltrends.com/gaming/google-stadia-is-the-future-of-gaming-and-thats-bad-news-for-earth/

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