Pas d’e-sport aux J.O. de Paris : une bonne nouvelle ?

Un impact mondial

Les Jeux Olympiques, tout le monde les connaît : événement international sportif incontournable depuis leur création en 1896, c’est l’occasion pour des milliers d’athlètes de s’affronter pour faire gagner une médaille à leur pays. Les quelques 400 épreuves de chaque J.O. sont suivies avec attention depuis des décennies, pour être aujourd’hui la compétition sportive la plus regardée dans le monde.

À titre d’exemple, les derniers Jeux Olympiques d’hiver de 2018 à PyeongChang ont accumulé 1.92 milliard de spectateurs via diverses plateformes numériques en plus de la télévision. C’est donc un quart de la population mondiale qui s’intéresse à cet événement, alors que la finale de la dernière Coupe du Monde de football – qui a vu les Bleus accrocher une deuxième étoile au maillot français – a attiré 1.12 milliard de téléspectateurs.

Les européens ont ainsi tendance à voir le football comme le sport majeur dans le monde, mais la réalité est tout autre : aux États-Unis, le soccer est moqué par rapport au football américain, tandis qu’en Asie, l’intérêt premier des fans de sport réside dans les disciplines olympiques… et surtout l’e-sport.

De ce point de vue, on peut évidemment constater que les Jeux Olympiques se portent très bien sans l’e-sport, mais devant l’intégration d’épreuves d’escalade et surtout de breakdance pour l’édition 2024, force est de constater la volonté du CIO d’élargir les domaines représentés. Alors, comment expliquer ce blocage face à l’avènement des compétitions de jeux vidéo ?

La conquête d’un nouveau public

Les J.O. d’hiver de PyeongChang en 2018 ont été un succès, personne ne peut le nier : par rapport aux Jeux de Sotchi en 2014, la diffusion de l’événement a connu une hausse de 38 %, dont 62 % en diffusion entièrement numérique. Des chiffres solides mettant en avant une utilisation toujours plus poussée du streaming aux dépens de la télévision, mais qui occultent également d’autres données intéressantes.

En effet, malgré le succès des J.O. de 2018, la population dont l’âge est compris entre 18 et 49 ans se désintéresse de plus en plus de la compétition : en 2018, c’est une chute de près de 25 % de l’audience chez ces “jeunes” qui est observée. Il est donc indéniable que le CIO cherche dès lors à rajeunir cette audience, et que le choix d’intégrer des épreuves de breakdance aux J.O. de 2024 est un moyen de mettre en avant un domaine qui parlera plus à cette tranche d’âge que des épreuves de lancer de marteau.

Quid de l’e-sport ? L’intégration du gaming en tant que sport olympique pourrait-il attirer un public plus jeune ? Ce public est-il favorable à voir les joueurs de League of Legends et autres FIFA décrocher une médaille d’or ?

Les Français prêts à franchir le pas

Une étude menée par Médiamétrie pour France E-Sports et présentée au secrétaire d’État au numérique a révélé fin 2018 des chiffres intéressants qui illustrent le rapport des Français au monde de l’e-sport. Tout d’abord, il faut retenir qu’un Français sur trois serait favorable à l’intégration de l’e-sport aux Jeux Olympiques (38 %). Ce chiffre, en hausse par rapport aux 30 % annoncés en 2017, pourrait bien atteindre les 44 % en 2020 selon Médiamétrie. Pour plus d’information sur ce sujet, rendez-vous sur leur site internet.

Mais la France n’est pas le seul pays européen friand de gaming : sur la même question, 35 % des Allemands répondent favorablement, de même que 31 % des Anglais. Quant au public asiatique, l’e-sport est déjà depuis des décennies au centre de son attention, et l’Europe gagnerait probablement à prendre exemple sur ses voisins.

The Return of the Geeks

La France sur les traces de l’Asie

Les Français ont toujours eu un intérêt particulier pour la culture asiatique : mangas, musique, nourriture, lifestyle… Le Japon, et l’Asie dans sa globalité, fascine la France, et inculque aux jeunes générations des valeurs que seule la culture asiatique est en mesure de fournir.

En ce qui concerne le gaming, les Français sont loin derrière la dévotion absolue des Asiatiques – et particulièrement des Sud Coréens – à l’e-sport. En effet, si ce terme en lui-même et tout ce qu’il englobe commencent à peine à être compris dans l’hexagone, les e-sportifs coréens sont d’ores et déjà élevés au rang de stars nationales, et ce depuis les années 1990 où les premières compétitions ont vu le jour.

France E-Sport a dévoilé un baromètre illustrant la consommation d’e-sport en France, en parallèle avec la volonté des Français de voir ce domaine représenté aux Jeux-Olympiques :

  1. La France compte 5 066 000 consommateurs d’e-sport (soit 12 % des internautes) : c’est l’ensemble des Français ayant déjà regardé un streaming de jeux vidéo en ligne.
  2. 1 149 000 Français pratiquent l’e-sport (soit 2.8 % des internautes : c’est-à-dire qu’ils jouent à des jeux vidéo multijoueurs en tant que loisir).
  3. 931 000 Français pratiquent l’e-sport avec enjeu (soit 2.2 % des internautes) : cela concerne les jeux en ligne avec classement (ranked).

Ces chiffres mettent bien évidemment en avant le développement des jeux vidéo en ligne en France, mais ce serait une erreur de penser que seuls les adolescents s’y adonnent ! En effet, ce serait les joueurs de 35 à 49 ans qui représenteraient le plus grand pourcentage de consommateurs d’e-sport en France, avec un solide 33 % ! Suivent les 25-34 ans (27 %) et les 15-24 ans (24 %).

Les Français regardent toujours plus de streaming d’e-sport en direct, sur YouTube ou sur Twitch, à toute heure de la journée et de la nuit : pour améliorer leurs skills (leur niveau dans un jeu), mais aussi et surtout, pour frissonner devant les plus grands joueurs d’Overwatch ou CS:GO. Cet intérêt croissant est également illustré par la programmation de compétition d’e-sport sur la chaîne beIN Sports notamment, qui a bien compris que les athlètes de demain iront au front clavier en main.

Les Français fans de foot

En France, FIFA est le jeux vidéo en ligne le plus joué, devant League of Legends et Call of Duty. Counter Strike et Fortnite complètent ce top 5.

Le level up de l’e-sport en Asie

Sport incontestablement numéro 1 en Corée du Sud, l’e-sport a une autre dimension en Asie. Là où les jeux vidéo et l’e-sport en général sont considérés en Europe comme – au mieux – des passe-temps, c’est un réel business et une quasi-religion dans les pays asiatiques, attirant certains des plus importants sponsors au monde.

Ainsi, Nike a signé un contrat avec la League of Legends Pro League en Chine, dont les joueurs peuvent désormais se pavaner avec des maillots et des survêtements floqués à leurs noms. Toujours pas convaincus ? En plus de la marque à la virgule, Mercedes et BMW sponsorisent des équipes professionnelles et des compétitions coréennes, tandis que le géant MacDonald’s a préféré stopper son partenariat avec l’équipe nationale de football d’Allemagne au profit de l’e-sport, faisant de lui une scène aussi compétitive que la Coupe du Monde… et que les Jeux Olympiques ?

Sur ce sujet, l’e-sport a pour la première fois de son histoire été présent à une compétition olympique, en tant que sport de démonstration : les Asian Games qui se sont tenus du 26 août au 1er septembre 2018 en Indonésie représentent à eux seuls la seconde compétition la plus importante dans le monde. League of Legends, Arena of Valor, StarCraft II, Hearthstone, Pro Evolution Soccer 2018 et Clash Royal ont ainsi attiré la génération 2000 devant leurs écrans.

Et, quitte à surfer sur la vague des jeux online, l’e-sport sera également présent aux Jeux d’Asie du Sud Est (SEA 2019) cette année, avec la création de six épreuves bien propres au gaming : deux pour les jeux mobiles, deux pour les jeux sur console et deux autres pour les jeux sur PC.

Outre l’intérêt déjà bien présent des Asiatiques pour l’e-sport, les gamers professionnels bénéficient du même entraînement que des sportifs “classiques” : sessions d’entrainement, préparation mentale et physique ou encore programmes nutritionnels sont scrupuleusement suivis, afin que ces stars du gaming soient à 100 % de leurs capacités lors de compétitions majeures. Des stars, oui, mais surtout des athlètes vivant dans leur temps.

Le nouveau sport du XXIe siècle

Une économie en plein essor

Au vu de son succès à l’heure actuelle, il semble que l’e-sport n’ait pas besoin des Jeux Olympiques pour survivre, et inversement. Comme l’ont indiqué bon nombre de spécialistes, certaines institutions parmi les plus importantes – on pense à la NBA et la NFL notamment – n’ont pas eu besoin d’être poussées par une visibilité olympique pour régner sur leur domaine. Pour l’e-sport, cela semble bien parti pour suivre la même dynamique, avec des prévisions d’audience de 300 millions de spectateurs en 2022.

En 2017, l’e-sport a généré à lui seul 665 millions de dollars de revenus. En 2018, ce chiffre augmente encore plus, pour atteindre les 906 millions. Une estimation pour 2021 ? Près de 1 650 millions de revenus. Difficile alors de ne pas considérer l’e-sport comme un filon à exploiter.

Ce que ne se privent pas de faire les sponsors, notamment américains, eux qui représentent 40 % du chiffre d’affaires des compagnies et autres équipes d’e-sport, soit environ 359.4 millions de dollars. La visibilité obtenue en Asie via ce phénomène incite les marques les plus importantes à s’engager dans ce domaine : c’est donc sans surprise que l’on retrouve une équipe du Paris Saint-Germain version e-sport, la question étant de savoir si elle sera plus efficace que son homonyme footballistique.

L’e-sport attire les sponsors, prêts à délaisser d’autres sports qui étaient alors considérés comme les plus lucratifs, mais également les spectateurs : 99.6 millions de spectateurs ont assisté à la finale du Mondial de League of Legends en 2018, tandis que la plateforme de streaming Netflix met à disposition de ses abonnés un documentaire dédié à l’e-sport, et plus particulièrement au MOBA de Riot Games.

Un Frenchie au sommet

Côté sportifs, la France peut se vanter d’avoir un représentant dans le top 3 des joueurs e-sports avec le plus de gains en 2018 : Sébastien Debs (7ckingMad pour les intimes) a gagné 2 280 216 dollars grâce à DOTA 2.

Press start to be cool

Ce qui frappe surtout au final, c’est le changement de mœurs, et plus globalement de culture, que l’Europe – et en ce qui nous concerne, la France – connait aujourd’hui. Auparavant marginalisés, les geeks et autres gamers ont désormais la côte, et c’est avec fierté que les amateurs de jeux vidéos évoquent leurs exploits sur Fortnite et Call of Duty.

Avec l’explosion de la pop culture au cinéma notamment, ceux que l’on traitait autrefois de nerds prennent leur revanche : les lecteurs de comics pourront se vanter de connaître l’issue du prochain film Marvel et les gamers acharnés pourront prodiguer des conseils aux “noobs” qui débutent un jeu.

Les Français s’intéressent désormais aux mangas, aux comics, aux jeux vidéo, et c’est donc tout naturellement que l’e-sport dépasse le cadre du simple loisir. Et puisqu’il n’a rien de tel que des chiffres pour illustrer un propos, voici les jeux vidéo en ligne les plus regardés sur YouTube et Twitch en 2018 (étude réalisée par Newzoo) :

  1. League of Legends avec 240 millions de spectateurs.
  2. Counter Strike : Global Offensive avec 212 millions de spectateurs.
  3. DOTA 2 avec 180 millions de spectateurs.
  4. Overwatch avec 96 millions de spectateurs.
  5. Hearthstone avec 43 millions de spectateurs.

Plus récemment, l’explosion de popularité pour les jeux type “Battle Royale” a propulsé Fortnite, PUBG ou encore Apex Legends directement dans la cour des grands, avec une possible présence aux futurs Jeux d’Asie. Epic Games, studio à l’origine de la création du Battle Royale le plus populaire depuis quelques années, organise d’ailleurs en juillet 2019 sa première Coupe du Monde, avec à la clé une bourse de 30 millions de dollars. Un sport en vogue, on vous dit.

L’e-sport est-il déjà un sport olympique ?

Avec des acteurs élevés au rang de célébrités, des stades portant le nom de sponsors, des équipes créées et des maillots floqués, difficile de ne pas mettre l’e-sport sur un pied d’égalité avec le basket, le football et autres sports d’équipe.

Pour revenir à la déclaration de Thomas Bach, président du Comité International Olympique, où il stipulait que les jeux faisant la promotion de la violence n’apparaîtraient pas aux Jeux Olympiques, force est de constater un certain amalgame. En effet, pourquoi condamner les jeux de sports tels que FIFA, PES ou encore Gran Turismo qui ne présentent aucune violence, en les mettant dans la même catégorie que Counter Strike et Fortnite ?

Ce qui dérange probablement, c’est le fait que l’e-sport ne demande pas de capacités physiques comparables à la natation, la gymnastique ou encore la course à pied. Certes. Cependant la concentration, le travail en équipe et la stratégie déployée par les joueurs d’e-sport ne doivent pas être minimisés : le sport, dans sa généralité, sert à se dépasser physiquement comme mentalement.

Au final, si les Asiatiques ont déjà fait de l’e-sport une discipline olympique et pas l’Occident, c’est probablement qu’ils ont su comprendre le potentiel de divertissement, de dépassement de soi et de modernité de ce dernier, tandis que les jeux vidéo peinent à se détacher de leur image de violence gratuite qui les poursuit depuis bien trop longtemps.

L’e-sport ne sera pas présent aux Jeux Olympiques de 2020 au Japon, ni en 2024 en France, mais on peut d’ores et déjà s’attendre à une première entrée en la matière dès 2028 à Los Angeles. L’événement sportif le plus suivi dans le monde ne pourra pas se permettre de passer à côté de ce qui est aujourd’hui une force émergente, mais qui sera dans dix ans un acteur incontournable du sport du XXIe siècle.

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