22/06/2022 : Le marché des smartphones reconditionnés est en plein essor et pèse déjà plus d’un milliard d’euros au niveau national, mais le secteur n’est pas encore totalement organisé. Et compte, dans ses rangs, quelques brebis galeuses qui ne respectent pas les règles. L’enjeu pour le gouvernement est donc de structurer cette filière et la rendre plus transparente envers les consommateurs.

“C’est un peu comme le bon et le mauvais chasseur, prévient d’emblée Gaël Brouard, co-fondateur de Comparecycle, un comparateur de reprise de produits high tech en ligne, faisant référence au célèbre sketch des Inconnus. Il y a les bons et les mauvais reconditionneurs”.

Le marché des smartphones reconditionnés est en plein essor, et pèse plus de 50 milliards d’euros au niveau mondial. Un milliard au niveau national. De quoi attiser les convoitises… et les mauvais chasseurs. Surtout que l’emploi du terme “reconditionné”, aujourd’hui, est devenu un véritable argument de vente.

En France, 2,8 millions de smartphones reconditionnés se sont vendus en 2020, selon l’Ademe (Agence de la transition écologique), soit 25 % de plus que l’année précédente. Au total, en 2020, 13% des smartphones vendus étaient reconditionnés. En 2021, le chiffre est passé à 17%. “Sur le marché du reconditionné, c’est +20% chaque année, avance Gaël Brouard. En 2022, je pense que l’on sera vers les 4,5, 4,6 millions”.

Brebis galeuses

Un marché en pleine expansion donc, mais dont la filière n’est pas encore totalement structurée. D’où la présence d’un grand nombre de brebis galeuses.

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a publié, en mars dernier, un rapport accablant : 62% des 84 magasins et sites de vente en ligne inspectés ne respectent pas “les allégations figurant dans les offres commerciales, notamment celles portant sur la réalisation de tests”. Le terme “reconditionné” serait utilisé de manière abusive.

Selon le Décret du 17 février 2022 relatif aux conditions d’utilisation des termes “reconditionné” et “produit reconditionné”, un smartphone reconditionné est un appareil ayant “subi des tests portant sur toutes ses fonctionnalités afin d’établir qu’il répond aux obligations légales de sécurité et à l’usage auquel le consommateur peut légitimement s’attendre”.

La DGCCRF précise que cette enquête, “qui avait avant tout une visée exploratoire, montre qu’il est important d’accompagner la mise en place des filières de reconditionnement pour lui permettre de poursuivre son développement tout en assurant une information optimale des consommateurs”.

Au total, la DGCCRF a donné 27 injonctions administratives et 26 avertissements. “D’une manière générale, les éléments fournis aux consommateurs ne leur permettaient pas de connaître le degré éventuel de perte de la qualité d’usage des équipements, ni de comparer les produits entre eux ou de comparer un produit reconditionné à un produit neuf”, conclut l’administration.

Un processus industriel pas toujours respecté

“Dans le reconditionné, la qualité dépend du reconditionneur et du processus industriel effectué, prévient Jean-Christophe Estourdre, président et cofondateur de Smaaart, un reconditionneur français basé à Montpellier. Chez Smaaart, “tout est fait en France et toutes les étapes de reconditionnement sont scrupuleusement respectées”.

La première étape consiste “à récupérer la carte d’identité du téléphone (marque, modèle, puissance…) et à effacer les données personnelles de l’ancien propriétaire en émettant un certificat associé à l’IMEI (numéro d’identification unique, ndlr) du téléphone qui prouve que toutes les données ont bien été effacées”, précise Jean-Christophe Estourdre. Qui ajoute : “C’est une étape très importante lorsque l’on est un vrai reconditionneur”. Gaël Brouard confirme : “Si l’effacement des données n’est pas fait correctement, il peut y avoir des problèmes de hacking. Vous achetez un téléphone reconditionné, vous y installez un logiciel espion et vous pouvez ainsi récupérer les codes de carte bleue par exemple”.

Ensuite, le téléphone file à l’audit esthétique afin de lui “attribuer un grade” : “état correct”, “très bon état” ou “parfait état”. Puis, c’est le tour de l’audit technique où les fonctionnalités du smartphone et la batterie sont contrôlées minutieusement afin de déterminer quelles pièces doivent être changées. Ces pièces proviennent des constructeurs eux-mêmes “s’ils veulent bien les mettre à disposition”, précise Jean-Christophe Estourdre, mais “ce n’est pas le cas de tous”. Sinon, “comme dans l’automobile, on démantèle d’autres téléphones pour récupérer des pièces, ce qui est plus écologique, ou on cherche des pièces compatibles”.

Une fois les réparations faites, le smartphone passe un contrôle qualité où “toutes les fonctionnalités sont recheckées afin d’être sûr qu’elles sont bien opérationnelles”. Et, enfin, vient “l’étape de rénovation” où le produit subit “un nettoyage antibactérien” avant d’être empaqueté, en attendant son nouveau propriétaire.

“Deux produits sur trois sont importés des USA et de la Chine”

Mais, pour un consommateur, comment savoir que le smartphone acheté a bien été reconditionné dans les règles ? “C’est un problème, reconnaît Gaël Brouard. Sur certaines marketplaces, des téléphones sont vendus comme étant reconditionnés alors que ce sont des téléphones d’occasion”. Jean-Christophe Estourdre abonde dans le même sens : “Si vous achetez sur une marketplace, type Amazon ou Blackmarket, vous ne savez pas qui est derrière et quel est le processus de reconditionnement. Du coup, la qualité d’un produit reconditionné ne dépend pas de la marque, mais du processus de reconditionnement. Combien de consommateurs font l’effort d’aller chercher qui est le reconditionneur. Où est son usine de fabrication ? D’où provient le produit ? Et s’ il y a un problème, où est son SAV ? Personne ne le fait. Il faudrait écrire le guide du consommateur sur les marketplaces !”

“Le processus de reconditionnement n’est pas encadré en France, ajoute Jacqueline Pistoulet, directrice marketing et communication chez Smaaart. Tout le monde peut s’auto-décréter reconditionneur. Du coup, c’est le consommateur qui doit enquêter pour savoir comment il a été reconditionné. Y-a-t’il vraiment un processus industriel derrière ou c’est un petit gars qui fait ça dans son garage? On n’en sait rien, c’est ça le problème”.

D’autant plus, pour que le principe d’économie circulaire fonctionne, les téléphones doivent provenir du marché français, être reconditionnés en France et revendus en France. Sinon, la démarche n’est plus aussi éco-responsable. Or, actuellement, ce n’est pas le cas. L’association Halte à l’obsolescence, qui a répondu à nos questions par mail, prévient qu’“une part non négligeable des produits reconditionnés vendus en France provient de l’étranger. Cela pose évidemment certaines questions, d’ordre écologique notamment”. Sur Back Market, leader des plateformes de revente des appareils reconditionnés sur le marché français , “58% des revendeurs sont étrangers”, avance Les Échos.

“Un produit neuf, c’est 100,5 kg de Co2”

Gaël Brouard confirme : “Deux produits sur trois sont importés des USA et de la Chine. Ces appareils sont déjà reconditionnés là-bas et sont envoyés à des pseudo conditionneurs, qui sont en fait des traders. Ils achètent ces produits, les nettoient et les testent. Si ça fonctionne, ils les mettent dans une boîte avec le nom de leur société et ajoutent une garantie de 12 ou 24 mois. Derrière, ils scellent la boîte, et se disent reconditionneurs. Tout ce qui ne fonctionne pas est renvoyé à l’expéditeur. Ça repart donc aux USA ou en Chine pour qu’ils soient rereconditionnés et reretestés avant qu’ils ne soient rerenvoyés en France”.

Des allers-retours en avion qui noircissent l’empreinte carbone du smartphone reconditionné. Car, “le prix, entre 30, 50 et même 70% moins cher qu’un neuf, et l’écologie sont les principaux critères pour lesquels on se tourne vers le reconditionné”, avance le président de Smaaart. “Un produit neuf, c’est 100,5 kg de Co2, un produit reconditionné aux USA ou en Chine et revendu en France, c’est 60 kg de Co2. Et un produit repris, reconditionné et vendu en France, c’est 9,5 kg de Co2 car il n’y a pas de coûts de transport ou très peu” explique Gaël Brouard.

“On a un problème de sourcing en France, explique HOP. Outre l’endroit du reconditionnement, un autre enjeu fort, d’un point de vue écologique, concerne le sourcing des appareils. Aujourd’hui, la collecte d’anciens appareils est trop faible en France, alors même que de nombreux téléphones dorment dans les tiroirs”.

120 millions de téléphones dorment dans nos tiroirs

Selon une étude de l’Ademe (Agence de la transition écologique), le nombre de téléphones abandonnés au fond des commodes des Français.e.s s’élève à 120 millions, dont 80% sont encore fonctionnels. Résultat : “Une part importante des téléphones reconditionnés provient d’Asie ou d’Amérique, poursuit HOP. Le gain environnemental par rapport au neuf reste positif dans ce cas, mais est évidemment moindre”.

Ce qui pose des questions sur l’empreinte carbone de ces téléphones reconditionnés, mais aussi concernant la concurrence entre les acteurs français et étrangers. Les revendeurs étrangers ne sont ni soumis à la TVA ni à la redevance “copie privée”.

La mise en place de cette dernière a créé un véritable tollé, l’an dernier, chez les acteurs de la filière du reconditionné en France. Cette taxe a pour but de collecter une certaine somme sur les appareils pouvant enregistrer afin de rétribuer les artistes, auteurs et producteurs, pour qui une copie privée représente un manque à gagner.

Le montant de la redevance est fixé par la capacité de stockage de l’appareil, ce qui représente une moyenne d’une dizaine d’euros en plus sur chaque appareil reconditionné. Seulement voilà : cette redevance a déjà été payée lors de la vente du produit neuf. “Pourquoi les consommateurs devraient-ils la payer deux fois ?”, s’insurge Gaël Brouard. Et de pointer un problème de compétitivité avec les produits provenant de Chine ou des États-Unis, qui ne la payent pas : “Pourquoi ne pas en profiter pour taxer les produits importés des États-Unis et de Chine puisque cette redevance est européenne ?”

Du côté du reconditionneur montpelliérain, chez Smaaart, on est très remonté aussi : “On n’a pas compris. Tous les acteurs qui reconditionnent à l’étranger ne sont pas taxés. C’est de la concurrence déloyale. L’économie circulaire est un secteur qui préserve l’environnement, qui crée de l’emploi en France, notamment à travers l’insertion professionnelle, qui est “green” à tous les niveaux, et on n’a rien trouvé de mieux que de nous pondre une taxe sur un secteur qui n’est pas encore rentable et qui est tout juste en cours de construction”.

Selon l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP), les pouvoirs publics doivent “soutenir le secteur français qui se développe”. Avant de préciser : “L’État a en quelque sorte admis la menace que représente cette redevance, puisqu’une aide de 15 millions d’euros pour le secteur du reconditionné a été lancée en mars dernier, dont une partie prendra la forme d’un montant versé pour chaque appareil”.

L’enjeu pour le gouvernement est donc de structurer cette filière et la rendre plus transparente. Les principaux acteurs du reconditionné “made in France” plaident pour la mise en place d’un label de qualité qui certifie que le reconditionnement a bien été fait dans les règles d’art. Les consommateurs pourront alors différencier les bons des mauvais reconditionneurs.

infographie : 10 chiffres clés sur la filière du reconditionné

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